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dit-il d’une voix altérée ; je ne savais point ce que vous valez : j’étais indigne de vous, et j’en rougis.

— Ne dites pas cela, Lionel, répondit-elle en lui tendant la main pour le relever. Quand vous m’avez connue, je n’étais pas ce que je suis aujourd’hui. Si le passé pouvait se transposer, si aujourd’hui je recevais l’hommage d’un homme placé comme vous l’êtes dans le monde…

— Hypocrite ! pensa Lionel : elle est adorée du comte de Morangy, le plus fashionable des grands seigneurs !

— Si j’avais, continua-t-elle avec modestie, à décider de la vie extérieure et publique d’un homme aimé, je saurais peut-être ajouter à son bonheur, au lieu de chercher à le détruire…

— Est-ce une avance ? se demanda Lionel éperdu. Et, dans son trouble, il porta avec ardeur la main de Lavinia à ses lèvres. En même temps, il jeta un regard sur cette main, qui était remarquablement blanche et mignonne. Dans la première jeunesse des femmes, leurs mains sont souvent rouges et gonflées ; plus tard, elles pâlissent, s’allongent, et prennent des proportions plus élégantes.

Plus il la regardait, plus il l’écoutait, et plus il s’étonnait de lui découvrir des perfections nouvellement acquises. Entre autre choses, elle parlait maintenant l’anglais avec une pureté extrême, elle n’avait conservé de l’accent étranger et des mauvaises locutions dont jadis Lionel l’avait impitoyablement raillée que ce qu’il fallait pour donner à sa phrase et à sa prononciation une originalité élégante et gracieuse. Ce qu’il y avait de fier et d’un peu sauvage dans son caractère s’était concentré peut-être au fond de son âme ; mais son extérieur n’en trahissait plus rien. Moins tranchée, moins saillante, moins poétique peut-être qu’elle ne