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retrouvait sur son terrain. Il avait prévu des reproches, et il était préparé à l’attaque ; mais il n’eut pas cet avantage ; l’ennemi changea de position sur-le-champ.

— Allons, mon cher Lionel ; dit-elle en souriant avec un regard plein de bonté qu’il ne lui connaissait pas encore, lui qui n’avait connu d’elle que la femme passionnée, ne craignez pas que j’abuse de l’occasion. Avec l’âge, la raison m’est venue, et j’ai fort bien compris, depuis longtemps, que vous n’étiez point coupable envers moi. C’est moi qui le fus envers moi-même, envers la société, envers vous peut-être ; car, entre deux amants aussi jeunes que nous l’étions, la femme devrait être le guide de l’homme. Au lieu de l’égarer dans les voies d’une destinée fausse et impossible, elle devrait le conserver au monde en l’attirant à elle. Moi, je n’ai rien su faire à propos ; j’ai élevé mille obstacles dans votre vie ; j’ai été la cause involontaire, mais imprudente des longs cris de réprobation qui vous ont poursuivi ; j’ai eu l’affreuse douleur de voir vos jours menacés par des vengeurs que je reniais, mais qui s’élevaient malgré moi contre vous ; j’ai été le tourment de votre jeunesse et la malédiction de votre virilité. Pardonnez-le-moi, j’ai bien expié le mal que je vous ai fait.

Lionel marchait de surprise en surprise. Il était venu là comme un accusé qui va s’asseoir à contre-cœur sur la sellette, et on le traitait comme un juge dont la miséricorde est implorée humblement. Lionel était né avec un noble cœur ; c’était le souffle des vanités du monde qui l’avait flétri dans sa fleur. La générosité de lady Lavinia excita en lui un attendrissement d’autant plus vif qu’il n’y était pas préparé. Domino par la beauté du caractère qui se révélait à lui, il courba la tête et plia le genou.

— Je ne vous avais jamais comprise, madame, lui