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— C’est une vieille tradition, répondit-elle, un dénoûment convenu, une situation inévitable dans toutes les histoires d’amour. Et, si, lorsqu’on s’écrit, on était pénétré de la nécessité future de s’arracher mutuellement ses lettres avec défiance… Mais on n’y songe point. À vingt ans, on écrit avec la profonde sécurité d’avoir échangé des serments éternels : on sourit de pitié en songeant à ces vulgaires résultats de toutes les passions qui s’éteignent ; on a l’orgueil de croire que, seul entre tous, on servira d’exception à cette grande loi de la fragilité humaine ! Noble erreur, heureuse fatuité d’où naissent la grandeur et les illusions de la jeunesse ! n’est-ce pas, Lionel ?

Lionel restait muet et stupéfait. Ce langage tristement philosophique, quoique bien naturel dans la bouche de Lavinia, lui semblait un monstrueux contre-sens, car il ne l’avait jamais vue ainsi : il l’avait vue, faible enfant, se livrer aveuglément à toutes les erreurs de la vie, s’abandonner confiante à tous les orages de la passion ; et, lorsqu’il l’avait laissée brisée de douleur, il l’avait entendue encore protester d’une fidélité éternelle à l’auteur de son désespoir.

Mais la voir ainsi prononcer l’arrêt de mort sur toutes les illusions du passé, c’était une chose pénible et effrayante. Cette femme qui se survivait à elle-même, et qui ne craignait pas de faire l’oraison funèbre de sa vie, c’était un spectacle profondément triste, et que Lionel ne put contempler sans douleur. Il ne trouva rien à répondre. 11 savait bien mieux que personne tout ce qui pouvait être dit en pareil cas, mais il n’avait pas le courage d’aider Lavinia à se suicider.

Comme, dans son trouble, il froissait le paquet de lettres dans ses mains :

— Vous me connaissez assez, lui dit-elle ; je devrais