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» La saignée m’avait physiquement soulagée en m’affaiblissant. Je tombai dans un grand accablement d’esprit ; toutes mes illusions s’envolèrent avec l’excitation de la fièvre. Je retrouvai la raison et la mémoire ; je me rappelai la terrible déception du café, la misérable allure de Lélio ; je m’apprêtai à rougir de ma folie, à tomber du faîte de mes chimères dans une plate et ignoble réalité. Je ne pouvais plus comprendre comment je m’étais décidée à troquer cette héroïque et romanesque tendresse contre le dégoût qui m’attendait et la honte qui empoisonnerait tous mes souvenirs. J’eus alors un mortel regret de ce que j’avais fait ; je pleurai mes enchantements, ma vie d’amour, et l’avenir de satisfaction pure et intime que j’allais renverser. Je pleurai surtout Lélio, qu’en le voyant j’allais perdre à jamais, que j’avais eu tant de bonheur à aimer pendant cinq ans, et que je ne pourrais plus aimer dans quelques heures.

» Dans mon chagrin, je me tordis les bras avec force ; ma saignée se rouvrit, le sang coula avec abondance ; je n’eus que le temps de sonner ma femme de chambre, qui me trouva évanouie dans mon lit. Un profond et lourd sommeil, contre lequel je luttai vainement, s’empara de moi. Je ne rêvai point, je ne souffris point, je fus comme morte pendant quelques heures. Quand j’ouvris les yeux, ma chambre était sombre, mon hôtel silencieux ; ma suivante dormait sur une chaise au pied de mon lit. Je restai quelque temps dans un état d’engourdissement et de faiblesse qui ne me permettait pas un souvenir, pas une pensée. Tout d’un coup la mémoire me revient ; je me demande si l’heure et le jour du rendez-vous sont passés, si j’ai dormi une heure ou un siècle, s’il fait jour ou nuit, si mon manque de parole n’a pas tué Lélio, s’il est temps encore. J’essaye de me lever, mes forces s’y refusent ; je lutte quelques instants