Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

houle encore trop rude qui le rejetait contre la poupe.

Un matelot, habile nageur, dont il avait sauvé la vie, le retira de la mer ; mais le corps que Melchior tenait embrassé ne rouvrit pas les yeux, et retourna le lendemain à la mer avec les cérémonies d’usage pour les sépultures nautiques. Melchior ne comprit rien à ce qui se passait autour de lui ; il sourit d’un air stupide en voyant le nabab arracher ses cheveux blancs.

Sa santé se rétablit plus vite qu’on ne l’espérait, et il reprit son service, qu’il remplit avec une admirable ponctualité, jusqu’à son débarquement en France. Seulement, il fut impossible de lui arracher une parole relative à sa vie passée et au terrible événement qui lui avait fait perdre la mémoire.

En arrivant chez sa mère, Melchior trouva, parmi des lettres qui l’attendaient, un papier qui sembla fixer son attention ; il le regarda longtemps et parut faire d’incroyables efforts pour ressaisir le sens des choses qu’il contenait ; puis, tout d’un coup, il le froissa dans ses mains, poussa un cri terrible et courut à une fenêtre pour s’y précipiter.

On se jeta sur lui, on ramassa le papier : c’était l’extrait mortuaire de la Térésine.

On le tint garrotté pendant plusieurs jours ; il déchirait les cordes avec ses dents ; il les rompait avec la tension de ses muscles ; il couvrait d’imprécations les gardiens qui cherchaient à le préserver de sa propre fureur ; il leur demandait ensuite avec des sanglots une arme pour s’ôter la vie.

Cette crise cessa ; la mémoire disparut. Melchior reprit son service à bord d’un bâtiment frété pour Buénos-Ayres,

C’est encore aujourd’hui un excellent officier de marine, ponctuel, vigilant et brave. Seulement, une fois