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repas se prolongea plus que de coutume. On fit du punch et du gloria. Jenny prit du thé.

Melchior restait enchaîné sur le divan auprès d’elle ; la lampe suspendue à la voûte n’éclairait plus que faiblement l’intérieur de la salle. Dans cette lueur vague, Jenny apparaissait comme une création si fine et si suave, que Melchior se figura être sous l’empire d’un de ces rêves qui le dévoraient dans l’ardeur des nuits, alors que Jenny surgissait devant lui, fugitive et décevante comme ses espérances ; il prit sa main avec un mouvement de fureur, et, protégé par l’ombre qui s’épaississait autour d’eux, il y imprima non pas ses lèvres, mais ses dents. Ce fut une caresse cruelle et terrible comme son amour.

Jenny étouffa un cri et se tourna vers lui d’un air de reproche ; une larme de souffrance coulait sur sa joue ; mais, dans l’incertitude de la lumière, Melchior crut voir dans son œil humide une expression de pardon et de tendresse si passionnée, qu’il faillit tomber à ses pieds.

Alors, faisant un effort sur lui-même, il s’élança dans l’escalier de l’écoutille sous le prétexte d’aller demander de la lumière ; il courut sur le pont, enjamba les bastingages et se jeta sur un porte-haubans.

Ces banquettes, adossées extérieurement à la coque du navire, sont des sièges fort agréables pour rêver ou pour dormir lorsqu’on est sous le vent, qu’un air vif et pur dilate vos poumons et que, dans une belle nuit d’été, l’écume vient mollement vous baiser les pieds.

La journée avait été sombre ; le ciel était encore parsemé de nuages longs, étroits, déchirés, lorsque la lune commença à sortir de la mer. Son disque était rouge comme le fer dans la fournaise ; un des bords plongeait encore dans les flots noirâtres, l’autre s’enfonçait sous un bandeau d’un bleu sombre qui ceignait l’horizon.