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Au moment où Melchior voulut s’éloigner, elle déploya tous ses talents dramatiques avec un tel succès (elle était précisément dans un jour d’inspiration), que le crédule et naïf jeune homme crut avoir abusé de son innocence. Il l’épousa.

Un frère de la Térésine, huissier avide et retors, veilla à ce que le mariage ne manquât d’aucune des formalités qui pouvait le rendre indissoluble. Il n’est besoin de dire que le contrat assurait à madame Melchior le reste de la part de pillage échue à Melchior sur le corsaire.

Le lendemain de la cérémonie, il surprit une irrécusable preuve de l’infidélité de sa femme ; il partit les mains vides et le cœur libre, mais il n’en resta pas moins irrévocablement lié à cette femme oubliée, dont il fallut bien se ressouvenir auprès de Jenny. C’était là le motif de sa facile soumission, de sa grossière froideur. Il avait cru pouvoir sans danger et sans crime transiger mentalement avec la fantaisie de son oncle. Pour assurer l’existence de sa mère, il était descendu sans remords à cette feinte, et, maintenant encore, il croyait n’avoir compromis que son propre bonheur, joué que son propre avenir.

Il y avait des jours cependant où il croyait sentir la main de Jenny brûler et trembler dans la sienne, des jours où son humide regard lui semblait trahir d’ineffables révélations. Et puis il rougissait de son orgueil ; il avait honte de se trouver fat, et il retombait plus avant dans l’inouïe souffrance qui le dévorait.

Dès qu’il revenait au sentiment du devoir, la douleur abreuvait son âme ; il demandait compte à Dieu avec d’amers sanglots de sa portion d’existence, si fatalement perdue. Avait-il réussi à engourdir ses remords, il s’éveillait en sursaut au bord d’un abîme, et priait le ciel de le préserver.