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l’horizon. Le vin, le jeu, le tabac, les seuls plaisirs du marin, lui inspirèrent du dégoût ; la flamme du punch ne l’égaya plus ; les propos grossiers choquèrent son oreille.

Dans les chants de l’orgie, il apparaissait sombre et irrité, craignant toujours qu’on ne troublât le repos de Jenny, et, quand ses compagnons, devinant à demi son mal, osèrent le railler, ils rencontrèrent la menace sur ses lèvres et la vengeance dans son regard. Le premier qui eût prononcé alors le nom de Jenny fût tombé sous le couteau que Melchior pressait dans sa main tremblante.

Il n’y a pas à bord de secret longtemps gardé ; Jenny entendit bientôt faire la remarque du changement qui s’opérait dans le caractère de son cousin.

La femme du monde la plus simple ne manque jamais de perspicacité lorsqu’il s’agit du principal, du seul intérêt de sa vie. Melchior croyait encore son secret caché bien avant dans son cœur, que Jenny l’avait découvert.

Alors le bonheur embellit Jenny de tout l’éclat du triomphe ; la naïve enfant ne sentit pas plus tôt sa puissance, qu’elle en usa en reine de quinze ans ; elle devint folâtre, maligne, coquette avec candeur, cruelle avec tendresse. Ce fut le dernier coup.

Melchior ne chercha plus à lutter contre son propre cœur ; il accepta les maux et les biens de cette existence nouvelle, et ne voulut résister qu’autant qu’il le fallait pour n’être pas coupable.

Mais, si cette résistance eût été difficile dans une circonstance ordinaire de la vie, elle devenait pour ainsi dire surhumaine là où était Melchior.

Jeté au milieu de l’immense Océan, dans une petite société d’exception, où la nécessité est dieu, le naviga-