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arts, pétri dès l’enfance pour une vie dure et frugale, n’avait jamais bu à ces sources empoisonnées. Il était dans la société comme une pièce de monnaie toute neuve dans la circulation, alors que le frottement n’a point encore usé son empreinte.

S’il n’avait eu que peu d’idées jusque-là, du moins n’en avait-il jamais eu de fausses ; il ne possédait ni le savoir, ni l’erreur, qui tient de si près au savoir. L’amour, réduit dans ses perceptions au plaisir d’un jour, n’avait pas brûlé son sang, fatigué son cerveau, amorti sa force intellectuelle.

Ce hardi marin, si rude d’écorce, si prosaïque de langage et de manières, ce brut métal coulé dans un moule vulgaire renfermait pourtant des trésors d’amour et de poésie qui n’attendaient qu’un rayon de lumière pour éclore.

Combien de semblables hommes n’avons-nous pas rencontrés ! Combien semblaient inféconds, qui ont produit de grandes choses ! Combien promettaient de hautes destinées, qui sont demeurés stériles ! Si celui-là ne fût né près d’un trône, il n’eût été propre qu’aux dernières fonctions de la société ; si cet autre eût appris à lire, il eût été Cromwell.

Aussi, quand le véritable amour envahit le cœur de Melchior, ce fut une irruption si large et si violente, qu’il emporta en un instant le passé comme un rêve. Il trouva des aliments intacts qu’il dévora comme un incendie, et, chez ce marin grossier, ignorant et libertin, il se développa certes plus intense et plus dramatique que dans le cerveau d’un poëte dandy de nos salons.

Le progrès fut si effrayant et si rapide, que Melchior n’eut pas le temps de se reconnaître. Tout ce qui avait rempli son existence passée s’effaça comme un nuage à