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Melchior de ses véritables intentions, prit un parti extrême.

Sa fierté de femme se révolta de penser qu’on offrirait sa main à un homme si peu désireux d’obtenir son cœur. Elle eût mieux aimé la mort qu’un refus de sa part ; car à toute son humiliation venaient se joindre les douleurs d’un amour malheureux.

Préférant le désespoir à la honte d’espérer peut-être en vain, elle déclara formellement à son père qu’elle estimait beaucoup Melchior, mais qu’elle ne l’aimait point assez pour en faire son époux.

Cette étrange conclusion à trois mois d’incertitude chagrina d’abord vivement le nabab ; et puis il se consola en pensant que l’héritière de plusieurs millions ne serait pas longtemps au dépourvu ; il s’applaudit même de n’avoir pas compromis la dignité de son argent en faisant d’inutiles ouvertures à son neveu, et laissa Jenny complètement maîtresse de l’avenir et du présent.

Mais, malgré toutes ces volontés contradictoires, la fatalité faisait concourir toutes choses à la formation de son œuvre inévitable.

Melchior donnait aveuglément dans une ruse qu’on ne prenait presque plus la peine de lui voiler. Jamais il ne se fût avisé de deviner qu’à lui, pauvre marin sans éducation et sans fortune, on eût songé à offrir la plus riche et la plus jolie héritière des deux presqu’îles.

Ces sortes de perceptions audacieuses ne viennent qu’aux âmes douées d’assez d’amour ou de cupidité pour entreprendre de les réaliser.

Il alla même jusqu’à se persuader que Jenny était triste à cause d’un amour contrarié dans l’Inde par la volonté de son père. Il se défia tant d’elle, qu’il ne songea point à se défier de lui, et il crut que son cœur devait toujours dormir calme à l’abri de sa médiocre destinée.