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mativement par forme de politesse. Aujourd’hui, vous m’apprenez que vous êtes sa fille : cela change bien les choses. Il ne me reste qu’à me féliciter d’avoir une si jolie parente, et à remercier mon oncle de ses bontés pour moi, à rejoindre mon poste sur le navire Inkle-et-Yariko, avant que ma personne devienne insupportable.

— Vous semblez douter de notre affection, mon cousin, dit Jenny toute confuse et tout abattue ; c’est une injustice que vous nous faites.

Et, comme elle sentait que c’était là un dénoûment bien triste à des projets si riants, elle ne put cacher une larme qui tremblait au bord de sa paupière.

Melchior reprit courage.

— Cousine, dit-il avec sa manière brusque et franche, je veux vous prouver que je crois à votre amitié et que j’estime votre cœur. Je vais vous confier un désir qui me pèse, mais dont je ne rougis pas. Vous m’aiderez auprès de mon oncle, ou plutôt vous vous chargerez de ma demande.

» Voici : ma mère est une bonne femme ; je n’ai qu’elle à aimer dans le monde ; aussi je l’aime. Elle a élevé, tant qu’elle l’a pu, quatorze enfants, qui tous sont morts sans l’aider. Pour en venir là, il lui a fallu contracter des dettes que dix ans de ma paye ne sauraient éteindre. En attendant, ma mère mourra de faim et de froid.

» Vous ne savez pas ce que c’est que le froid, Jenny ; chez nous, c’est un mal qui revient tous les ans, et dont les vieillards souffrent particulièrement. Que mon oncle lui assure six cents livres de rente ; ce sera fort peu de chose pour lui, et, pour moi, ce sera un immense service…

Jenny tendit cette fois sa main au marin.