Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette exigence particulière sembla choquer Melchior, et sa figure, jusqu’alors insoucieuse et calme, prit un air de défiance et de trouble que le gouverneur ne s’expliqua pas bien.

— Diable ! dit-il en laissant tomber le bec de sa chibouque, quelle étrange idée est-ce là ? Mon oncle voudrait-il se débarrasser en ma faveur d’une fille laide et bossue dont personne n’aurait voulu dans la contrée ?

Cette conjecture fit sourire le gouverneur.

— Votre oncle n’a pas de fille bossue, lui dit-il gaiement ; tout au contraire, le célibat est sa manie pour lui et pour les autres. Vous ferez bien de vous y conformer.

— Soit ! répondit Melchior en ramassant sa chibouque.

Deux jours après, comme le jeune lieutenant dormait dans son hamac à bord de l’Inkle, il fut réveillé en sursaut par les embrassements d’un petit homme jaune et maigre, habillé des plus riches étoffes de l’Inde taillées sur les modes françaises de 1780.

La toilette de M. Dupleix, gouverneur de l’Inde, dont à cette époque le nabab avait eu l’honneur d’être cuisinier, avait servi de type, durant tout le reste de sa vie, à ses idées sur l’élégance parisienne. Aux marges de son habit de damas nacarat étincelaient une garniture de boutons en diamants d’une largeur exorbitante, et son gilet, dont les poches tombaient jusqu’aux genoux, était brodé de perles fines.

Ce digne représentant d’une génération qui s’efface, ce vivant débris de la France de madame Du Barry, portait encore des bas de soie brochés en rose, des souliers à boucles, et une épée dont la garde était montée en pierres précieuses. Melchior eut bien de la peine à s’empêcher de rire en contemplant son oncle dans toute la splendeur de ce costume.

Ils partirent immédiatement ensemble pour l’habita-