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mieux que ces mœurs-là. Avec un peu plus de force morale vous eussiez trouvé dans la vertu tout le bonheur que vous ne trouvâtes point dans une intrigue. Mais laissez-moi m’étonner d’un fait : c’est que vous n’ayez point rencontré, dans tout le cours de votre vie, un seul homme capable de vous comprendre et digne de vous convertir au véritable amour. Faut-il en conclure que les hommes d’aujourd’hui valent mieux que les hommes d’autrefois ?

— Ce serait de votre part une grande fatuité, me répondit-elle en riant. J’ai fort peu à me louer des hommes de mon temps, et cependant je doute que vous ayez fait beaucoup de progrès ; mais ne moralisons point. Qu’ils soient ce qu’ils sont ; la faute de mon malheur est toute à moi ; je n’avais pas l’esprit de le juger. Avec ma sauvage fierté, il aurait fallu être une femme supérieure, et choisir, d’un coup d’œil d’aigle, entre tous ces hommes si plats, si faux et si vides, un de ces êtres vrais et nobles, qui sont rares et exceptionnels dans tous les temps. J’étais trop ignorante, trop bornée pour cela. À force de vivre, j’ai acquis plus de jugement : je me suis aperçue que certains d’entre eux, que j’avais confondus dans ma haine, méritaient d’autres sentiments ; mais alors j’étais vieille : il n’était plus temps de m’aviser.

— Et, tant que vous fûtes jeune, repris-je, vous ne fûtes pas une seule fois tentée de faire un nouvel essai ? cette aversion farouche n’a jamais été ébranlée ? Cela est étrange !


III


La marquise garda un instant le silence ; mais tout à coup, posant avec bruit sur la table sa tabatière