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mes répugnances, et toujours attiré vers moi par les obstacles que je mettais à sa passion, il a eu pour moi l’amour le plus patient, le plus courageux, le plus soutenu et le plus ennuyeux qu’un homme ait jamais eu pour une femme.

» Il est vrai que, depuis que j’avais érigé auprès de moi un protecteur, mon rôle dans le monde était infiniment moins désagréable. Les hommes n’osaient plus me rechercher ; car le vicomte était un terrible ferrailleur et un atroce jaloux. Les femmes qui avaient prédit que j’étais incapable de fixer un homme voyaient avec dépit le vicomte enchaîné à mon char ; et peut-être entrait-il dans ma patience envers lui un peu de cette vanité qui ne permet point à une femme de paraître délaissée. Il n’y avait pourtant pas de quoi se glorifier beaucoup dans la personne de ce pauvre Larrieux ; mais c’était un fort bel homme ; il avait du cœur, il savait se taire à propos, il menait un grand train de vie, il ne manquait pas non plus de cette fatuité modeste qui fait ressortir le mérite d’une femme. Enfin, outre que les femmes n’étaient point du tout dédaigneuses de cette fastidieuse beauté, qui me semblait être le principal défaut du vicomte, elles étaient surprises du dévouement sincère qu’il me marquait, et le proposaient pour modèle à leurs amants. Je m’étais donc placée dans une situation enviée ; mais cela, je vous assure, me dédommageait médiocrement des ennuis de l’intimité. Je les supportai pourtant avec résignation, et je gardai à Larrieux une inviolable fidélité. Voyez, mon cher enfant, si je fus aussi coupable envers lui que vous l’avez pensé.

— Je vous ai parfaitement comprise, lui répondis-je ; c’est vous dire que je vous plains et que je vous estime. Vous avez fait aux mœurs de votre temps un véritable sacrifice, et vous fûtes persécutée parce que vous valiez