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lui ai demandé sa protection et une existence modeste en travaillant dans ses ateliers ; il me l’accorde ; donnez-moi votre bénédiction, et permettez-moi d’aller vivre à l’île de Scio. J’ai lu, chez ma marraine, un livre dans lequel j’ai vu que c’était un beau pays, paisible, industrieux, et celui de toute la Grèce où les Turcs exercent la domination la plus douce. J’y serai pauvre mais libre, et vous serez plus tranquilles quand vous n’aurez plus, vous, ma mère, un objet de haine ; vous, mon père, un sujet d’alarmes. J’ai vu aujourd’hui combien le soin de vos richesses a d’empire sur votre âme ; mon exil vous tiendra quitte de la dot sans laquelle Checo ne m’eût point épousée, et cette dot dépassera de beaucoup les deux mille sequins auxquels vous eussiez sacrifié le repos et l’honneur de votre fille, si Abul n’eût été un honnête homme, digne de respect encore plus que d’amour. En achevant ce discours, que ses parents écoutèrent jusqu’au bout, paralysés qu’ils étaient par la surprise, la romanesque enfant, levant ses beaux yeux au ciel, invoqua l’image d’Abul pour se donner de la force ; mais en un instant elle fut renversée sur une chaise et rudement frappée par sa mère, qui était réellement folle dans la colère. M. Spada, épouvanté, voulut se jeter entre elles deux, mais la Loredana le repoussa si rudement, qu’il alla tomber sur la table.

— Ne vous mêlez pas d’elle, criait la mégère, ou je la tue !

En même temps, elle poussa sa fille dans sa chambre ; et, comme celle-ci lui demanda avec un sang-froid forcé, inspiré par la haine, de lui laisser de la lumière, elle lui jeta le flambeau à la tête. Mattea reçut une blessure au front, et, voyant son sang couler :

— Voilà, dit-elle à sa mère, de quoi m’envoyer en Grèce sans regret et sans remords.