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il était près de la rive, et il abandonna le pavé pour aller tomber…


II

Heureusement, la gondole de la princesse Veneranda se trouvait là, arrêtée par un embarras de barques chioggiotes, et faisait de vains efforts de rames pour les dépasser. Ser Zacomo, se voyant lancé, ne songea plus qu’à tomber le plus décemment possible, tout en se recommandant à la Providence, laquelle, prenant en considération sa dignité de père de famille et de marchand de soieries, daigna lui permettre d’aller s’abattre aux pieds de la princesse Veneranda, et de ne point chiffonner trop malhonnêtement le panier de cette illustre personne.

Néanmoins, la princesse, qui était fort nerveuse, jeta un grand cri d’effroi, et les polissons pressés sur la rive applaudirent et trépignèrent de joie. Ils restèrent là tant que leurs huées et leurs rires purent atteindre le malheureux Zacomo, que la gondole emportait trop lentement à travers la mêlée d’embarcations qui encombraient le canal.

La princesse grecque Veneranda Gica était une personne sur l’âge de laquelle les commentateurs flottaient irrésolus, du chiffre quarante au chiffre soixante. Elle avait la taille fort droite, bien prise dans un corps baleiné, d’une rigidité majestueuse. Pour se dédommager de cette contrainte où, par amour de la ténuité, elle condamnait une partie de ses charmes, et pour paraître encore jeune et folâtre, elle remuait à tout propos les bras et la tête, de sorte qu’on ne pouvait être assis près d’elle sans recevoir au visage à chaque instant son