Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/184

Cette page n’a pas encore été corrigée

lait en s’élevant dans son esprit au-dessus de sa rivale et en se promettant de lui laisser le champ libre, sans bassesse et sans ressentiment. « Qu’elle soit satisfaite, se disait-elle, qu’elle triomphe, je le veux bien. Je me résigne à lui servir de trophée, pourvu qu’elle soit forcée un jour de me rendre justice, d’admirer ma grandeur d’âme, d’apprécier mon inaltérable dévouement, et de rougir de ses perfidies ! Montgenays ouvrira les yeux aussi, et saura quelle femme il a sacrifiée à l’éclat d’un nom. Il s’en repentira, et il sera trop tard ; je serai vengée par l’éclat de ma vertu. »

Il est des âmes qui ne manquent pas d’élévation, mais de bonté. On aurait tort de confondre dans le même arrêt celles qui font le mal par besoin et celles qui le font malgré elles, croyant ne pas s’écarter de la justice. Ces dernières sont les plus malheureuses : elles vont toujours cherchant un idéal qu’elles ne peuvent trouver ; car il n’existe pas sur la terre, et elles n’ont point en elles ce fonds de tendresse et d’amour qui fait accepter l’imperfection de l’être humain. On peut dire de ces personnes qu’elles sont affectueuses et bonnes seulement quand elles rêvent.

Pauline avait un sens très-droit et un véritable amour de la justice ; mais entre la théorie et la pratique il y avait comme un voile qui couvrait son discernement : c’était cet amour-propre immense, que rien n’avait jamais contenu, que tout, au contraire, avait contribué à développer. Sa beauté, son esprit, sa belle conduite envers sa mère, la pureté de ses mœurs et de ses pensées, étaient sans cesse là devant elle comme des trésors lentement amassés dont on devait sans cesse lui rappeler la valeur pour l’empêcher d’envier ceux d’autrui ; car elle voulait être quelque chose, et plus elle affectait de se rejeter dans la condition du vulgaire, plus elle se