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même. Elle m’apprit de moi, ainsi que du monde, des choses que j’ignorais.

» — Pour être aimée de l’homme à qui l’on donne sa vie, me dit-elle, il ne suffit malheureusement pas de l’aimer de toute son âme, il faut encore lui plaire. Les hommes nous demandent plutôt des agréments que des vertus. Eh bien, ma fille, ces agréments que je n’ai jamais possédés, la nature ne te les a pas donnés. Comme moi, tu es mince, pâle, sans tournure, sans grâce, sans aptitude de coquetterie. Ta taille se voûte même plus tôt que n’a fait la mienne, et nos parents de Touraine, quand ils me voient de loin en loin, me disent : « Prenez-y garde, elle pourrait bien devenir bossue. » Si cela t’arrive, ma pauvre enfant, il ne faudra pas songer au mariage. Tu es, par moi, le dernier rejeton d’une race dégénérée physiquement. Mon père et ma grand’mère étaient valétudinaires, et ils sont morts jeunes comme je meurs. Dieu te permettrait alors de te consacrer à lui sans partage, et là, ma fille, tu trouverais certainement le vrai bonheur. Mais retiens bien ceci, qu’il faut être plus qu’en âge de raison pour contracter un hyménée si ambitieux et si sublime avec la divine sainteté.

» Je n’éprouvai aucun chagrin d’apprendre que j’étais ainsi disgraciée. Au contraire, ma mère, en me dévoilant les douleurs cachées et les humiliations intérieures de sa vie conjugale, m’avait inspiré un tel effroi de l’affection