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existent, et les grands artistes triomphent quand même. N’êtes-vous pas un peu paresseux ?

— Non, dit-il, je travaille beaucoup, et le désordre que l’on me reproche n’a jamais pris sur ma santé ni sur mes études.

Il me disait la vérité, et, pour résumer l’appréciation que je veux donner ici de son caractère et de son existence, j’ajouterai qu’ayant eu plus tard l’occasion de l’entendre, je reconnus qu’il avait beaucoup d’acquis et des dons naturels remarquables ; mais, dès notre premier entretien, je pénétrai aisément la cause de sa mauvaise fortune. Il avait, non pas comme il le croyait, une fierté légitime, mais une hauteur excessive vis-à-vis des directeurs de théâtre et même du public. Il ne voulait transiger avec rien, et, prétendant entrer à l’Opéra de Paris, aux Italiens, ou tout au moins à l’Opéra-Comique avec des appointements et des honneurs énormes, il avait si souvent et si fâcheusement dédaigné le moment favorable, qu’il était condamné à courir la province pour avoir du pain. Malheureusement, il avait agi tout aussi follement avec les directions de province, et il se voyait attaché à une troupe de troisième ordre, préférant, disait-il, être le premier au village que le dernier à la cour.

En somme, c’était un de ces hommes qui n’ont pas de chance, comme ils disent, mais qui ne s’avouent jamais qu’il y a de leur faute, qu’ils manquent leur vie pour un