Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je pourrais vous dire que je n’en sais rien, que j’avais pour elle, au su de tout le monde, une sympathie et une estime particulières ; mais je ne veux ni vous tromper, ni me tromper moi-même. Je ne croyais pas qu’il fût possible d’aimer Juliette autrement que comme une âme. Sa personne était, à cette époque, d’une laideur tranchée. Maigre, jaune, fade, on l’appelait autour de moi la boscotte, ou la petite vieille.

— Fort bien. J’ai pourtant peine à croire qu’elle n’eût pas déjà ces beaux yeux et ce regard magnétique que le plus lourd paysan ne peut rencontrer sans être pénétré d’un étonnement et d’un respect singuliers. Vous n’étiez guère artiste à cette époque, à ce qu’il paraît ; mais passons. Quand vous avez revu mademoiselle d’Estorade, il y a deux ans…

— Je serai franc. Elle m’a paru étrange. Elle était si mal fagotée !

— Et l’année dernière ?

— Plus étrange encore, presque belle par moments, puis, tout à coup, vieille de cent ans et se rendant justice sur ce point par l’entier délaissement de ce qui fait le charme, je dirais presque le sexe de la femme. C’était un être qui n’appartenait pas à l’humanité, que l’on pouvait invoquer à genoux, mais non pas serrer dans ses bras.

— Et à présent ?…