lui, percer, à chaque mot, cette vanité outrée, sous des
semblants de modestie. Là, je m’étonnai du manque de
pénétration de mademoiselle d’Estorade. À sa place, je
ne me fusse jamais donné la peine de répondre et de
discuter de bonne foi avec lui comme avec une personne
sérieuse. La seule crainte que je pusse garder, jusqu’à
un certain point, sur la nature des sentiments de Juliette,
venait donc surtout de l’illusion qu’elle avait nourrie sur
le compte de cet homme. N’y avait-il pas eu, de la part
de cette sage personne, un peu de coquetterie épistolaire ?
Ses lettres étaient pourtant simples et concises. On n’eût
pas pu les citer comme des modèles de grâce et de finesse
féminine. On y sentait l’habitude invétérée et rigide du
détachement de soi-même. C’est peut-être là ce qui avait
abusé Albany. Il n’avait pas compris des phrases comme
celle-ci, par exemple : « Ce n’est pas de moi qu’il s’agit,
c’est de vous, » et que l’on devait sans aucun doute traduire
ainsi : « Je ne vous permets pas de regarder dans
mon âme et dans ma vie ; il s’agit de vous examiner
vous-même. » Tandis qu’à ses yeux, il fallait apparemment
lire : « Je vous préfère à moi-même. »
Les lettres d’Albany, très-développées, pleines de dissertations musicales assez fortes, et de mélancolies romantiques assez bien tournées, avaient bien pu éblouir une personne qui avait connu un monde plus relevé que son milieu actuel, et qui éprouvait les besoins de l’intel-