Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à en rougir comme d’une faiblesse coupable. Tenez, mon ami, je voudrais revoir cet homme devant vous et devant Narcisse. Je ne puis souffrir qu’il emporte l’idée que je le pleure et que je me combats moi-même pour voir son mariage sans jalousie !

J’hésitai à répondre. Je demandai à n’avoir d’opinion sur ce projet qu’après avoir lu la correspondance. Juliette me remit toutes les lettres qu’elle avait reçues, et je les emportai avec celles qu’elle avait écrites.

Tout cela n’était pas très-volumineux. Je passai néanmoins la nuit à le lire attentivement, pesant chaque expression de Juliette, cherchant à deviner chaque pensée d’Albany.

Quand j’eus fini, je regardai Albany comme un sot, d’oser croire ouvertement à l’amour de mademoiselle d’Estorade pour lui, et de confier à un tiers le cas de conscience dont il se tourmentait. Comme il n’est de parole et de phrase dans aucune langue humaine qui ne soit susceptible d’un sens caché, il est bien certain qu’on pouvait voir, dans la généreuse et charitable sollicitude de Juliette, un amour qui se voile ou qui s’ignore lui-même ; mais, pour y trouver ce sens-là de préférence à l’autre, il fallait avoir le culte aveugle de soi-même. Il fallait être trois fois vain ; il fallait être Albany, en un mot.

Il était beaucoup plus facile de voir dans ses lettres, à