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voir de conscience pour se trouver heureuse ? Et, d’ailleurs, ne m’avait-elle pas dit cent fois qu’elle ne s’occupait jamais de son propre bonheur, mais de celui des autres ?

Je lui rappelai ses propres paroles, et elle sourit mystérieusement, en me répondant qu’elle n’était ni si sublime ni si niaise que je la croyais.

— Je ne connais pas l’amour, me dit-elle, mais je le crois nécessaire dans le mariage. Je sais, par ma mère, que l’on est très-malheureux quand on l’éprouve sans l’inspirer. Narcisse serait donc à jamais à plaindre si je l’épousais sans l’aimer d’amour.

— Mais que savez-vous si vous ne l’aimez pas ainsi ? Qui vous a rendue assez savante pour distinguer l’amour de l’amitié ?

— Personne ne m’a rendue savante sur ce point, répondit-elle. Mais apparemment la femme la plus ignorante a un instinct qui l’éclaire. Je sens que je n’ai pas d’amour ; et, pour en revenir à Albany, je tiens beaucoup à lui prouver qu’il s’est trompé sur mon compte. Entre nous soit dit, ceci m’affecte et m’offense, qu’un homme que j’estimais tout au plus, et à qui je croyais tendre la main pour l’attirer vers moi, se soit imaginé planer sur ma pensée et qu’il se dise le maître de mon cœur et de ma vie. Vous aviez bien raison, Narcisse et vous, de me reprocher cette correspondance, et j’arrive