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gage aussi à lui conseiller le mariage ; elle ne se doute pas du motif de ses refus. Et moi, je ne peux pas dire à Narcisse de se marier, parce que, malgré lui peut-être, il me ferait entendre la vérité. Je ne veux pas avoir l’air de le savoir ; mon silence le blesserait, et, s’il s’expliquait complétement, mon refus le mettrait au désespoir. Je compte sur le temps, qui guérit tout. Vous voyez que ce que nous disons là ne peut que lui faire beaucoup de mal, et vous ne l’en informerez pas.

— C’est donc à dire que vous ne l’aimez pas ?

— Je l’aime tendrement, sincèrement ; mais je ne peux pas être sa femme.

— Pourquoi ?

— Je n’en sais rien ; mais tout mon être se révolte à cette idée. Je me la suis imposée cent fois déjà. Je m’en suis fait un devoir. J’ai prié Dieu de m’aider à l’accomplir. J’ai été au moment de vous écrire que j’étais décidée. Et puis, tout à coup, une voix intérieure me dit : « Non, non, non ! » Et je me débats, je pleure, je me décourage. J’ai la certitude qu’à peine aurais-je dit oui à Narcisse, mes larmes couleraient devant lui, et une immense douleur s’emparerait de moi, de lui par conséquent.

En parlant ainsi, mademoiselle d’Estorade pâlit, et je vis qu’elle faisait, en effet, de douloureux efforts pour ne pas pleurer devant moi.