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d’emblée, un associé si utile et qui nous épargnait tant d’ennuis et de temps perdu.

Quand on vit s’élancer sur leurs vastes fondations les premiers murs de nos usines, la confiance commença à venir, et l’on nous offrit plus de fonds qu’il ne nous en fallait. Mademoiselle d’Estorade n’avait pas attendu d’autre certitude que ma parole pour nous offrir ses terrains et les fonds qu’elle avait disponibles. Elle comprenait que l’avenir de la population était là, et elle parlait de faire construire à ses frais l’infirmerie des ouvriers et l’école gratuite pour leurs enfants. Je refusai son concours pécuniaire : nous étions riches et nos intentions étaient bonnes ; mais je lui attribuai, puisqu’elle voulait absolument nous aider de son zèle, la direction de nos futurs établissements de charité.

Je la voyais presque tous les soirs, mais sans être plus avancé, au bout de six mois, que le jour où je l’avais vue descendre, sans secousse et sans bruit, comme un oiseau de nuit aux ailes de duvet, les rapides sentiers de la Gouvre. Il y avait en elle un mystère impénétrable. Aimait-elle, pouvait-elle ou devait-elle aimer ? Fallait-il s’en tenir, sans appel, au jugement du docteur sur son compte ?

Cette âme, ravie dans la contemplation d’un monde meilleur, devait-elle passer sur nous sans jamais être des nôtres ? Son immense bonté, sa tolérance inépuisable, sa réserve délicate et séante dans toute question d’applica-