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pourrait-elle y être avec cette tranquillité d’âme, et y parler, à cœur ouvert, de choses si délicates, sans éprouver de confusion et de crainte ?

Mademoiselle d’Estorade parlait avec un grand abandon. Toute sa timidité avait disparu, et, bien qu’elle eût pu dire toutes ces choses avec une arrière-pensée de coquetterie, tant elle était idéale et d’un charme pénétrant dans ce moment-là, il y avait dans son exaltation une foi vive et aussi une bonne foi sincère. Elle m’inspirait un grand intérêt, mêlé d’un grand étonnement. Était-il possible que jamais l’espoir d’être aimée ne fût entré dans son cœur ? Il le fallait bien, puisqu’elle était riche et célibataire à vingt-huit ans. Mais cette certitude de ne pouvoir inspirer l’amour fût-elle mieux fondée, s’ensuivrait-il rigoureusement qu’elle ne pût ressentir l’amour en dépit d’elle-même ?

Ce dernier point était plus douteux, et je lui en exprimai la pensée avec toute la réserve possible. Narcisse enchérit sur ce doute avec sa rondeur ordinaire.

— Demoiselle, dit-il, moi, j’appelle les choses par leur nom, et ne sais point prendre le biais. Je ne sais pas si on peut, à nos âges, faire la croix comme vous la faites ; mais je dis qu’une femme est toujours une femme, comme un homme est toujours un homme. Une femme a toujours besoin d’aimer un homme plus que tous les autres, surtout quand on est bonne et sage comme vous êtes. Eh