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— Mes bons pères, je vois bien que le père Fructueux est très malade ; mais nous savons la cause de son mal, et nous avons l’ordre de le faire cesser. Si le père Fructueux veut vous quitter, il est libre et je lui offre ma maison ; sinon, nous vous donnons avertissement qu’il y a danger pour vous de lui assigner un mauvais gîte, parce que la loi est là pour le protéger, et la garde nationale pour donner force à la loi.

Les moines firent semblant de ne pas comprendre et le père Fructueux refusa poliment la protection qu’on lui offrait ; mais les autres se le tinrent pour dit. Ils n’avaient pas cru que le maire aurait tant de fermeté et la peur les prit. Dès le lendemain ils tinrent conseil et le père Fructueux, qui pouvait les perdre et qui ne le voulait pas, fut nommé supérieur des trois autres. Il fut soigné et choyé, et ne se vengea point. Dès lors, ils se tinrent tranquilles ; mais ils devinèrent bien qu’Émilien avait agi contre eux et ils le détestèrent à mort, sans oser le lui témoigner ouvertement.

Cette aventure acheva de nous rendre grands amis, Émilien et moi. Nous avions travaillé ensemble à une chose dont nous nous exagérions peut-être la conséquence parce qu’elle flattait notre petit orgueil, mais où nous avions porté une grande bonne volonté et bravé quelque danger. Il n’eût pas fallu nous traiter en enfants. À partir de ce jour-là, Émilien devint si raisonnable qu’on ne le reconnaissait plus. Il chassait toujours, mais pour donner son gibier aux pauvres malades, et il ne s’en servait plus pour festiner sur l’herbe avec les jeunes camarades de la montagne. Il lisait beaucoup, des livres et des journaux qu’il faisait