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avec toute la prudence qu’il fallait. Nous n’avons dit qu’à vous ce qui se passe, tandis que, si nous avions voulu ameuter les jeunes gens de la commune, le prisonnier serait déjà délivré ; mais ils eussent peut-être maltraité les moines, c’est ce que vous ne voulez pas. Allez donc et parlez au nom de la loi.

Le maire pria trois ou quatre du conseil de l’accompagner.

— Je confesse, dit-il, que je n’irais pas volontiers seul ; c’est bien doux, bien gentil, les moines ; mais, quand on les fâche, ça mord, et ça a la dent mauvaise.

Ils se rendirent sans bruit au moutier et furent bien reçus. Les moines ne se doutaient de rien ; mais, quand le maire leur dit qu’il avait à leur parler _à tous _au nom de la loi et qu’il ne voyait point l’économe, ils furent très embarrassés et le firent passer pour malade.

— Malade ou non, nous le voulons voir, conduisez-nous à sa chambre.

On fit attendre longtemps, on voulait endormir la municipalité et on lui fit honnêtement servir du meilleur vin. Le vin fut accepté et avalé, on était trop honnête pour le refuser ; mais le maire s’obstina tout de même et on le conduisit à la cellule de l’économe. On avait eu le temps de l’y ramener en lui disant qu’il était pardonné, et, quand le maire le questionna sur sa santé, le pauvre homme, ne voulant pas trahir ses frères, répondit qu’il avait eu une attaque de goutte qui le forçait de garder la chambre. Un moment le maire crut que nous avions menti, mais il était assez fin pour deviner tout seul la vérité, et il dit aux moines :