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n’est pas tout à fait du somnambulisme, cela y ressemble… C’est de famille, mon père était comme cela quand il travaillait une cause difficile.

— Et la cause que vous travaillez maintenant…

— Est une cause perdue ! Je m’imaginais parler à une assemblée de chouans, à qui je redemandais Louise et qui voulait me mettre à mort. Voyez ! ma vie est sauvée, puisque vous m’avez réveillé au bord de l’abîme ; mais ils ne me rendront pas Louise. J’ai plaidé devant des pierres !

— Ainsi vous rêviez ? C’est bien vrai ? Vous n’aviez pas d’intention mauvaise ?

— Que voulez-vous dire ?

Et, comme je n’osais pas émettre ma pensée, il fit un effort pour la deviner. Il recouvra aussitôt une lucidité complète, et, me saisissant la main :

— Bonne Nanon, reprit-il, vous m’avez pris pour un fou ou pour un lâche ! Comment êtes-vous ici ? Les ouvriers ne sont pas encore levés et il fait à peine jour.

— C’est pour cela que je me suis inquiétée en vous entendant sortir.

— Vous ne dormiez donc pas ? Est-ce que ma mère s’inquiète aussi ?

— Non, elle dort.

— Pauvre mère, c’est le bienfait de son âge ! Elle n’est plus de force à se tourmenter beaucoup.

— Ne croyez pas cela ! Elle dort bien mal ; elle rêvait tout à l’heure que vous tombiez d’une falaise dans la mer. C’est pour cela que j’ai eu peur, et bien m’en a pris. Vous pouviez vous tuer tout à l’heure.

— Cela eût été heureux pour moi.