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même aux papillons du jardin qui n’y trouveraient plus de fleurs, et je pleurais sur ces êtres comme s’ils eussent fait partie de moi-même.

Et cependant j’avais toujours l’oreille tendue au moindre bruit, comme une personne qui attend la mort ou la vie. Au milieu de mes larmes, il me sembla entendre un mouvement inusité dans la cour du moutier. En deux sauts, je fus là, palpitante, prête à tomber morte si c’était la mauvaise nouvelle. Tout à coup la voix d’Émilien résonne faiblement, comme s’il parlait avec précaution dans la salle du chapitre.

C’est sa voix. Je ne peux pas m’y tromper. Il est là, et il ne me cherche pas, il parle à Dumont, il lui raconte quelque chose que je ne peux pas comprendre. Je saisis seulement ces mots : « Va la chercher, et ne lui dis rien encore. Je crains le premier moment ! »

Et pourquoi donc craindre ? qu’avait-il de terrible à m’apprendre ? Mes jambes refusaient de franchir le seuil. Je me penche en m’appuyant contre le chambranle de l’ogive. Je le vois, c’est lui ; il est debout et Dumont lui arrange son manteau sur les épaules. Pourquoi un manteau en plein été ? Pourquoi ce soin de s’arranger au lieu d’accourir vers moi ? Est-ce pour me cacher les guenilles de son petit habit d’officier ? Qu’est-ce que Dumont lui dit à l’oreille ? Je veux crier : « Émilien ! » son nom se change dans mon gosier en un long sanglot ; il y répond en s’élançant vers moi les bras ouverts… non, un seul bras ! Il me serre contre sa poitrine avec un seul bras ! l’autre, le droit, est amputé jusqu’au coude, voilà ce qu’on voulait me cacher dans le premier moment.

À l’idée de ce qu’il avait dû souffrir, de ce qu’il