Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/326

Cette page n’a pas encore été corrigée

avez dit ; vous aimez M. Costejoux et vous regretterez d’avoir fait son malheur et le vôtre pour contenter votre orgueil…

Je m’arrêtai, très surprise de la voir pleurer, mais son chagrin se tourna en dépit.

— Je l’aime malgré moi, dit-elle, et nous serions plus malheureux mariés que brouillés. Est-ce que_ _je sais, d’ailleurs, si c’est de l’amour que j’ai pour lui ? Connaît-on l’amour à mon âge ? Je suis encore une enfant, moi, et j’aime qui me gâte et me choie. Il a beaucoup d’esprit, Costejoux ! il parle si bien, il sait tant de choses, qu’on s’instruit tout d’un coup en l’écoutant, sans être obligée de lire un tas de livres. Certainement il m’a beaucoup changée et, par moments, il me semble qu’il est dans le vrai et que je suis dans l’erreur. Mais je me repens de cela et je rougis de mon engouement. Je m’ennuie beaucoup ici. La mère Costejoux est excellente, mais si douce, si monotone, si lambine dans ses perfectionnements domestiques, que j’en suis impatientée. Nous ne voyons personne au monde, les circonstances ne le permettent pas, car on me cache encore un peu, comme un hôte compromettant. Les jacobins ne se croient pas battus et dureront peut-être encore quelque temps. Dans cette solitude, je deviens un peu folle. Je suis trop gâtée, on ne me laisserait pas toucher une casserole ou un râteau dans le jardin, et ma paresse m’est devenue insupportable. Avec cela, je n’ai pas reçu l’éducation première qui fait qu’on sait s’occuper et qu’on peut raisonner ses idées. Je n’ai pas voulu prendre mes leçons avec toi au moutier, j’ai l’âme vide, je ne vis que des rêves de divagations. Enfin, je