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— Soigner mes mains ? repris-je en riant : moi ?…

Je m’arrêtai, craignant de mettre un reproche dans ma comparaison, mais elle le devina et me dit avec une grande douceur :

— Oui, toi, tu soignes tout ce qui n’est pas toi, et moi, je suis une personne gâtée par la charité des autres au point d’avoir l’air de croire que cela m’est dû ; mais je suis loin d’oublier ce que je suis, va !

— Et qui donc êtes-vous ? lui dit M. Costejoux avec une tendre inquiétude. Voyons, confessez-vous un peu, puisque vous voilà dans un jour de mélancolie et d’abandon. Dites du mal de vous, c’est votre procédé pour avoir nos _mamours._

— Vous voulez que je me confesse ? reprit-elle ; je veux bien ; je suis si sûre d’une maternelle absolution de _ma tante _(elle appelait ainsi madame Costejoux) ! et, quant à vous, il n’y a pas de _papa _plus indulgent. Nanon est une gâteuse d’enfants, de premier ordre. J’en sais quelque chose. L’ai-je fait assez enrager avec mes colères et mes caprices ! J’étais détestable, Nanon, j’étais odieuse, et toi, patiente comme un ange, tu disais : « Ce n’est pas sa faute, elle a trop souffert, cela passera ! » Tu empêchais Émilien de me gronder, et tu voulais persuader à ce pauvre prieur que mes malices devaient l’amuser. Elles ne l’amusaient pas, elles le rendaient plus malade. Je rendais tout le monde malheureux, et, si mes autres souvenirs d’enfance sont des cauchemars, mes souvenirs du moutier sont tous des remords.

— Ne parlez pas comme cela, lui dis-je, vous me faites du chagrin ; j’aurais voulu souffrir pour vous davantage ; on ne regrette pas sa peine quand on aime.