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Louise si changée. J’avais quitté une enfant malingre, halée, nouée, retardée moralement par une vie de misère et de chagrin : je retrouvais une belle demoiselle qui s’était développée tout à coup dans le bien- être et la sécurité. Elle avait grandi de toute la tête. Elle était devenue longue et mince, de trapue qu’elle avait menacé d’être. Elle était encore pâle, mais si blanche et d’une peau si transparente et si fine que je croyais voir un lis. Ses mains, polies comme de l’ivoire, me paraissaient invraisemblables. On eût dit qu’elles ne pouvaient servir à rien qu’à être regardées et baisées. Je me souvenais bien de les avoir soignées de mon mieux, parce qu’elle tenait à les avoir propres et saines, mais je n’avais pas de gants à lui donner, et je n’aurais jamais imaginé qu’on pût les amener à ce point de perfection.

Elle s’aperçut de l’admiration qu’elle m’inspirait, et, se penchant vers moi, elle me passa son bras autour du col avec beaucoup de gentillesse, mettant sa joue contre la mienne, mais sans jamais y poser sa bouche, ce que je remarquais fort bien. Je me rappelai que jamais elle ne m’avait honorée d’un baiser, même dans ses meilleurs jours et ses plus fines câlineries. M. Costejoux ne remarquait pas cela. Il la trouvait charmante avec moi et me disait :

— N’est-ce pas qu’elle est changée ?

— Elle est embellie, lui répondis-je.

— Eh bien, et toi ? dit-elle en me regardant comme si elle ne m’eût pas encore vue : sais-tu que tu n’es pas reconnaissable, Nanon ? tu es vraiment une très belle fille. La maladie t’a donné de la distinction et tes mains seraient mieux faites que les miennes si tu les soignais.