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de rien. Il me demandait son adresse pour le lui écrire lui-même. Il finissait en m’appelant sa chère citoyenne et en me demandant pardon de m’avoir traitée jusqu’à ce jour comme une enfant. Il connaissait à ma lettre, disait-il, et bien plus encore à ce qu’il avait vu de ma résolution, de mon intelligence et de mon dévouement, que j’étais une personne digne de son respect et de son amitié.

Cette lettre me flatta et ramena en moi quelques velléités d’accepter l’amour d’Émilien. Je n’étais pas la première venue. Je pouvais lui faire honneur. — Mais la pauvreté, pouvais-je conjurer un danger si redoutable dans les temps troublés et incertains où nous nous trouvions ? À supposer qu’il revînt petit officier sans avenir, comment élèverait-il une famille, si la femme ne lui apportait que son travail au jour le jour !

C’est alors qu’une idée singulière, sans doute une inspiration de l’amour, s’empara de moi. Ne pouvais-je pas devenir, sinon riche, du moins pourvue d’une petite fortune qui me permettrait d’accepter sans scrupule et sans humiliation la condition bonne ou mauvaise d’Émilien ?

J’avais ouï parler de gens très honnêtes qui de rien étaient devenus quelque chose par la force de leur volonté et la durée de leur patience. Je me mis à faire des calculs et je reconnus qu’au prix où l’on avait la terre dans ce moment-là, on pouvait en peu d’années, se faire un revenu qui triplerait la valeur du capital. Il ne s’agissait que de bien connaître l’aménagement et les ressources de l’agriculture, et je m’en fis des idées assez justes en me rappelant ce qui réussissait ou échouait autour de moi depuis plusieurs années. Je