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le savoir, je pourrais le dépenser, c’est toi qui seras la gardienne des trois parts.

— Je ferai ce que vous voudrez, répondis-je ; allez donc, je vous envie ce voyage. À présent, j’aurais été contente de revoir ce pauvre endroit que j’ai quitté sans savoir ce que je faisais et sans songer à lui dire adieu. Voulez-vous me faire un grand plaisir, mon père Dumont ? apportez-moi un gros bouquet des fleurs qui poussent au bord du ruisseau, du côté où il y a un rocher à fleur de terre qui est fait comme un grand canapé. C’est par là qu’il y a les fleurs qu’Émilien aimait, et c’est sur ce rocher-là qu’il les étudiait.

Dumont me rapporta l’argent de notre grain et un bouquet gros comme une gerbe. Quoique la récolte eût été très belle dans notre pays, le grain était très cher, personne ne savait pourquoi. Dumont avait porté le nôtre au marché. Il en avait tiré trois cents francs en assignats de trois mille francs qu’il avait vite échangés contre de l’argent, car, d’un jour à l’autre, la monnaie de papier perdait de sa valeur et le moment allait venir où personne n’en voudrait plus pour rien.

Je mis de côté cette petite épargne et je remplis ma chambre des fleurs qui me rappelaient mon bonheur passé. Peut-être ne reverrais-je plus Émilien, peut-être était-il tué au moment où je respirais ces petits œillets sauvages et ces chèvrefeuilles qui faisaient apparaître son image devant moi. Je riais et je pleurais toute seule, et puis j’embrassais les fleurs, j’en faisais un bouquet de mariée. Je me donnais permission de me figurer que je me promenais parée comme cela, au bras de mon ami, qu’il me conduisait au bord de la rivière qui coule au bas du moutier et qu’il me montrait