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et je voyais bien qu’il était déjà au plus fort du danger et de la peine. Toujours dans ses lettres, il y avait une seule fois, mais une belle fois, le mot d’amour, et jamais il ne changeait d’idées : se battre pour son pays et revenir m’épouser. Pauvre Émilien ! il était cent fois plus malheureux en fait qu’il ne voulait le dire ; nos troupes souffraient ce que jamais hommes n’ont souffert ; nous le savions par ceux qui nous revenaient blessés ou malades. Mon cœur en était si gros, qu’il m’étouffait, et, par moment, je craignais de devenir asthmatique comme le prieur ; mais, dans le peu de lettres que je pouvais faire parvenir à Émilien, je me gardais bien de montrer ma douleur.

Je me disais confiante et résolue comme lui. Je ne parlais que d’espérance et d’affections et je ne pouvais pas me résoudre à contrarier son projet de mariage. Il me semblait que je l’aurais tué, et que je n’avais pas le droit de lui ôter la pensée qui le soutenait dans des épreuves si dures. Pourtant, je ne pouvais pas non plus me résoudre à écrire le mot d’amour. Ç’aurait été comme un engagement, et ma conscience me tourmentait trop.

Mais j’anticipe sur les événements, car je n’avais encore reçu que deux lettres de lui, quand une grande nouvelle nous arriva dans les premiers jours d’août. C’est le prieur qui me l’annonça.

Il venait de recevoir des lettres de sa famille.

— Eh bien, Nanon, me dit-il, je l’avais prédit, que Robespierre et ses amis ne viendraient pas à bout de leur ouvrage ! Le moyen ne valait rien et le moyen a tué le but. Les voilà tous tombés, tous morts. On a retourné contre eux le droit de supprimer ce qui gêne.