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amais je ne me l’étais dit à moi-même. Je croyais qu’il me respectait trop et qu’aussi il me protégeait trop pour vouloir faire de moi sa maîtresse.

— Taisez-vous, Dumont, répondis-je, Émilien n’a jamais eu de mauvaises idées sur moi ; il m’a trop juré qu’il m’estimait pour que j’en puisse douter.

— Tu ne comprends pas, Nanette ; l’amour qu’il a pour toi est la plus grande preuve de son estime, puisqu’il veut t’épouser. Il ne te l’a donc jamais dit ?

— Jamais ! il a eu l’air de me dire qu’il ne se marierait pas, plutôt que de faire un choix qui me déplairait ou m’éloignerait de lui ; mais m’épouser, moi, une paysanne, lui qui est fils de marquis ?… Non, cela ne s’est jamais vu et cela ne se peut pas. Il ne faut pas parler de pareilles choses, Dumont.

— Il n’y a plus de marquis, Nanette, reprit-il, et, s’il y en a encore, si la noblesse et le clergé reviennent jamais sur l’eau, Émilien n’aura rien à attendre de sa famille. Il devra se faire moine ou paysan. Moine avec un_ _petit capital, entrer en religion ; ou paysan à ses risques et périls. Crois-tu que la Révolution aura corrigé les nobles ? Que conseillerais-tu alors à ton ami ?

— D’être paysan comme il l’est de fait depuis des années. Vous direz comme moi, je pense ?

— Certainement. Eh bien, son choix est fait depuis longtemps, tu n’en peux pas douter, et, quels que soient les événements, le travail et la pauvreté sont le lot de ce cadet de famille. Il n’a qu’un bonheur à espérer en ce monde, c’est d’épouser la femme qu’il aime, et il y est bien résolu. Il va faire une campagne ou deux pour recevoir ce qu’il appelle le baptême de l’honneur, et, tout aussitôt après, il te dira ce que je te dis de sa