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— Oui, vous me prenez pour un sorcier ! Et pourtant, si la récolte est aussi bonne qu’elle promet de l’être, vous ne refuserez pas votre part ?

— Bien sûr que non ! mais en avoir une autre quand vous n’y serez plus ?

Il regarda longtemps son terrain verdoyant, d’un air de surprise, de doute et d’espérance. Puis il s’en alla tout absorbé, comme un homme qui a vu un prodige.

Nous eûmes donc la réputation d’être bien avec les fades et on nous évita d’autant plus. Ce n’était plus à nous de craindre ; c’est nous que l’on redoutait. Émilien se reprochait de nous voir condamnés à entretenir la superstition ; mais l’effet fut meilleur qu’il ne pensait. Nous avons su que, peu après notre départ, on avait pris courage au point de cultiver tous les alentours de l’île aux Fades et que le succès avait réconcilié ces bonnes gens avec les doux esprits qui avaient protégé notre refuge et notre travail.

L’hiver aussi fut doux et notre demeure était si bien entretenue, nous étions d’ailleurs si bien habitués à ne point nous écouter, que nous ne souffrîmes aucunement. La provision de châtaignes, le laitage et le gibier nous permirent de nous passer de farine, et peu à peu les nombreux petits achats de sel nous avaient assuré une provision suffisante. Nous n’avions plus besoin de rien chercher au dehors et Dumont n’était plus forcé de s’aventurer au loin. Les dernières nouvelles qu’il avait recueillies étaient si tristes, que nous ne désirions plus d’en avoir. Seulement, nous eussions bien voulu savoir ce qui se passait au moutier et rassurer nos amis qui pouvaient nous croire arrêtés et mi