Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/218

Cette page n’a pas encore été corrigée

de pouvoir jurer, en cas de persécution et d’enquête, qu’ils ne nous savaient pas là.

Ce fut, en effet, pour quelques-uns, le motif de cette prudence ; mais, pour les autres, il y en eut un dont nous eûmes l’explication plus tard.

Ce fut à minuit, le jour de Noël ; la sécurité et le bien-être relatif dont nous jouissions, l’ignorance absolue où nous étions des événements, l’espoir de traverser cette crise et de rentrer dans la vie normale, nous avaient rendu un peu de gaîté, et nous résolûmes de faire réveillon. Nous nous étions construit, avec des cassures de granit autrefois exploité, une bonne cheminée, qui nous permit d’allumer la bûche de Noël. Avec des fagots bien secs qui jetaient une belle clarté dans la chambre, nous dressâmes la table et j’y servis un chapelet d’alouettes bien grasses, une montagne de mes plus belles châtaignes cuites de diverses manières et un fromage de mes chèvres. Pour figurer un arbre de Noël, Émilien avait coupé et planté sur la table un fragon (petit houx) tout couvert de ses fruits rouges qui sortent du milieu des feuilles. Mon vin de prunelles était clair comme de l’eau de roche et piquant comme du vinaigre. Nous aimons cela, nous autres gens de montagne. Dumont, faute de mieux, ne le dédaignait pas, et, quand je lui eus bien démontré que ce n’était pas du vin, il consentit à en boire pour trinquer à la santé de nos amis absents. Il nous vint bien à la pensée qu’ils étaient peut-être tous en prison ou guillotinés, même Costejoux, pour nous avoir sauvé la vie : mais chacun de nous se donna comme un coup de poing sur le cœur pour le forcer à la confiance, et aucun de nous ne voulut dire aux autres