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us fîmes sécher assez de peaux pour avoir de bonnes couvertures d’hiver. Enfin, Dumont réussit à se procurer deux chèvres, dont le lait acheva de compléter notre bien-être, et qui, pas plus que l’âne, ne nous coûtèrent rien pour leur nourriture, tant il y avait de folles herbes autour de nous et de pâturages à l’abandon dans les terres non encore vendues.

Quand vint le temps de récolter les châtaignes, notre existence fut assurée, sans qu’il fût nécessaire d’aller aux emplettes. Nous avions la jouissance d’une douzaine d’arbres magnifiques et nous sûmes emmagasiner les fruits dans un silo de sable bien disposé. En qualité de Marchois, nous entendions mieux que les Berrichons la conservation de cette précieuse denrée.

Mais cette époque de la cueillette nous exposait à une invasion de visiteurs, et nous dûmes prendre nos précautions. Ni Dumont, ni moi qui devais passer toujours pour son neveu, n’avions rien à craindre : mais Émilien, le pauvre Émilien, qui aurait tant voulu être soldat, se trouvait forcément réfractaire, et il fallait le bien cacher ou le faire passer pour estropié. Il s’y résigna, se fabriqua une jambe de bois où il lia et plia son genou, et s’arma d’une béquille. À notre grande surprise, la précaution fut inutile : nous vîmes récolter tout autour de nous ; mais, des quinze ou vingt personnes qui gravirent sur les buttes voisines, aucune ne franchit le ruisseau, aucune ne s’approcha de notre maison, aucune ne nous parla ; il y a plus, aucune ne nous regarda.

Cela nous parut bien étrange, et nous en conclûmes, Émilien et moi, que ces braves gens avaient deviné notre situation et ne voulaient pas même _nous voir, _afin