Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/173

Cette page n’a pas encore été corrigée

de l’inconvénient d’être une jeune fille toute seule sur les chemins. À Valcreux, où l’on me savait sage et retenue, personne ne m’avait fait souvenir que je n’étais plus une enfant, et je m’étais trop habituée à ne pas compter mes années. Je songeai à ce que M. Costejoux m’avait dit à ce sujet.

Je voyais enfin dans mon sexe un obstacle et des périls auxquels je n’avais jamais songé. La pudeur se révélait sous la forme de l’effroi. Dans un autre moment, j’aurais peut-être eu du plaisir en apprenant que j’étais devenue jolie. Dans ce moment-là, j’en étais désolée. La beauté attire toujours les regards, et j’aurais voulu me rendre invisible. Je roulai plusieurs projets dans ma tête : je m’arrêtai à celui de ne pas me montrer à Châteauroux sans m’être assuré une protection, et de retourner la chercher à Valcreux, dès que je me serais assurée de la présence d’Émilien dans le convoi.

Je dis le convoi, parce qu’une autre charrette fermée, débouchant d’un chemin, vint bientôt se placer devant nous, se hâtant de nous dépasser.

— Ah ! me dit le conducteur Baptiste, voilà les mauvaises bêtes du bas pays que l’on mène joindre les autres. Il paraît que les prisons sont toutes remplies. On est bien sot dans notre pays de tant se gêner avec les aristocrates, quand on pourrait faire comme on fait à Nantes et à Lyon quand on en a trop.

— Qu’est-ce qu’on en fait donc ?

— On tire dessus à mitraille ou on les noie comme des chiens.

— Et c’est bien fait, répondis-je, égarée et parlant au hasard.