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mon oncle ; il apportait le pain, le beurre et le sel. La Mariotte nous laissa et je me mis à l’œuvre. Jacques se moqua beaucoup de mon ambition de faire la soupe toute seule et prétendit qu’elle serait mauvaise. Je me piquai d’honneur, ma soupe fut trouvée bonne et me valut des compliments.

— Puisque te voilà une femme, me dit mon oncle en la dégustant, tu mérites le plaisir que je vais te faire. Viens avec moi au-devant de ton petit cousin Pierre, qui s’est chargé de ramener l’ouaille et qui ne tardera pas d’arriver.

Ce mouton, ardemment désiré, était donc une brebis, et elle était probablement des plus laides, car elle avait coûté trois livres. Comme la somme me parut énorme, la bête me sembla belle. Certes, j’avais eu sous les yeux bien des objets de comparaison depuis que j’existais ; mais je n’avais jamais songé à examiner le bétail des autres, et mon mouton me plut tant que je m’imaginai avoir le plus bel animal de la terre. Sa figure me revint tout de suite. Il me sembla qu’il me regardait avec amitié, et, quand il vint manger dans ma petite main les feuilles et le déchet des légumes que j’avais gardés pour lui, j’eus bien de la peine à me retenir de crier de joie.

— Ah ! mon oncle, dis-je, frappée d’une idée qui ne m’était pas encore venue, voilà bien un beau mouton, mais nous n’avons pas de bergerie pour le mettre !

— Nous lui en ferons une demain, répondit-il ; en attendant, il couchera là dans un coin de la chambre. Il n’a pas grand’faim ce soir, il a marché et il est las. Au petit jour, tu le mèneras au chemin d’en bas, où il y a de l’herbe, et il mangera son saoul.