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Donc, il est passionné plus qu’il n’est utile et vertueux. Il aime Benjamine comme sa sœur, il respecte Olympe, il abhorre Nathalie… C’est donc Éveline qu’il aime. Éveline doit aimer les papillons.

Cette circonstance, cette supposition, gratuite ou non, décida des sentiments et des pensées de Thierray pour tout le reste de la journée. Il avait été amoureux à Paris, pendant quelques jours, de madame Dutertre, amoureux sans désir arrêté, sans ébranlement de cœur. L’assaut qu’il avait subi la veille, en s’imaginant qu’elle était grand’mère, les plaisanteries de Flavien, les siennes propres, avaient dépoétisé en lui cette brillante image ; et puis Dutertre lui avait paru beau et respectable au milieu de sa famille. Son accueil était si cordial ! il inspirait tant d’estime et de reconnaissance à tous les gens du pays qui parlaient de lui ! Thierray n’était corrompu qu’à la surface, par bravade, par affectation. Son cœur avait de la jeunesse, de la droiture, des instincts de religion sociale. Il s’abstint donc de faire attention, ce jour-là, à la victime qu’en riant il s’était choisie en quittant Paris ; et, se sentant excité par la première idée de lutte qui lui tombait sous la main, il résolut d’être amoureux d’Éveline, au moins jusqu’au coucher du soleil, ne fût-ce que pour faire enrager Amédée.

On est beaucoup moins scrupuleux envers la fille d’un ami qu’envers sa femme, parce qu’on peut l’épouser si l’on arrive à la séduire ou seulement à la troubler ; et, quand elle est riche autant que belle, la perspective n’a rien d’effrayant. Pourtant, si Thierray eût réfléchi ce matin-là, il se serait abstenu, car l’idée de s’enrichir par le mariage blessait toutes ses notions sur la dignité et la liberté de l’artiste.

Mais déjà Jules Thierray n’était plus l’homme qui avait quitté Paris trois jours auparavant. La campagne, le