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— Arrête, mon cher ami ! lui dit-il. Merci pour cette pensée ! mais ne l’énonce pas. Rappelle-toi qui je suis !

Flavien se tut. Il connaissait la fierté susceptible de Thierray.

— Tu as bien tort ! dit-il en entrant dans le salon, où Manette avait fait pénétrer les rayons du soleil matinal, et où déjà M. Crésus, les mains passées dans la ceinture de buffle qui pressait sa taille carrée et trapue, sifflotait en promenant un regard curieux sur l’ameublement.

Le salon de la défunte chanoinesse n’avait pas été destiné dans le principe à l’usage qu’elle lui avait attribué. C’était une pièce quelconque qui se trouvait dans le coin le mieux abrité de la cour contre le vent du nord, et, par conséquent, le mieux exposé aux rayons obliques que le soleil projetait entre deux petites masses d’architecture situées en face des croisées. De neuf heures du matin à midi, on pouvait donc jouir, dans ce coin privilégié, d’un peu de lumière et de chaleur, avantage refusé à toutes les autres faces de cet édifice, dont l’ensemble présentait assez les dispositions intérieures d’un pigeonnier et la profondeur d’un puits. Grâce à cette circonstance, la pièce susdite avait été choisie pour réchauffer les membres frileux de la châtelaine, et elle l’avait meublée à l’époque où, jeune encore, agréable, spirituelle, chanoinesse, mais bossue et maladive, elle était venue enfouir son existence triste et fière au fond de cette province. C’était en 1793, après sa sortie de prison, car elle avait payé son tribut, comme tant d’autres, à l’époque de la Terreur, et, croyant comme tant d’autres que la Révolution recommencerait indéfiniment, elle avait été chercher l’oubli dans une solitude, Elle était partie de Paris suivie d’un fourgon qui portait toute sa fortune mobilière, depuis son lit à baldaquin jusqu’à son coffret à ouvrage en bois de violette.