Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/74

Cette page n’a pas encore été corrigée

fond, j’ai entendu le faible grincement de la porte d’Amédée qui s’ouvrait ou se refermait ; plus d’une fois ensuite j’ai vu son ombre passer sur son rideau et la lumière disparaître. C’est alors qu’il rentrait et supprimait le fanal menteur de ses veilles laborieuses. Que d’autres choses j’ai vues ! que d’autres choses je sais ! Que de soupirs étouffés, que de regards dérobés, que de fleurs ramassées, que de rougeurs subites, que de pâleurs mortelles !… Le pauvre jeune homme en perd l’esprit.

— Lui, ce garçon si froid, si invulnérable, qui ne voit rien, qui ne devine rien, à qui l’on serait obligé de faire des avances pour lui faire comprendre qu’il peut plaire ?

— Ah ! Éveline, tu lui en as fait ! tu te trahis !

— Pas plus qu’à un autre. J’en fais un peu à tout le monde pour avoir le plaisir de désespérer ceux que j’attire à mes pieds. Où est le mal ?

— C’est petit, c’est pauvre. Ah ! qu’Olympe sait régner mieux que toi ! Elle ne dit rien, elle ! elle fascine ; elle n’appelle pas, elle attend ; elle n’escarmouche jamais, elle triomphe toujours.

— C’est donc une coquette de premier ordre, selon toi ?

— Tu es simple, de faire une pareille question !

— Eh bien, il faudra que je l’observe, que je l’étudié, et que je m’empare de sa manière, si c’est la meilleure.

Là-dessus, Éveline, toujours légère et sans fiel, mais inquiète et préoccupée, quitta brusquement le balcon, où le guet devenait superflu, la lune étant complètement voilée. Elle ne voulut plus écouter une parole de Nathalie ; elle sentait que cette parole était empoisonnée, et elle y résistait comme une bonne et vaillante fille qu’elle était au fond du cœur. Mais le coup était porté. Cet invincible besoin de plaire et de régner qui la tourmentait était, froissé par un obstacle qu’elle avait dédaigné jusque-là.