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— Parce que je n’aime pas les animaux de mon espèce. Je les connais trop bien. Une lionne admirer un lion ! Allons donc !

— Mais celui-là montre quelque esprit ?

— N’ai-je pas de l’esprit aussi, moi, quoique lionne ? Non, non, ma chère, les semblables se fuient et les contrastes se cherchent, voilà l’idée que je me fais de l’amour et du mariage.

— Alors, l’homme de plume te plairait davantage ?

— Oui ; ce n’est pas une figure régulière, c’est jaune, bilieux et d’une jeunesse équivoque ; mais ça a des yeux magnifiques d’expression, des dents si blanches, des cheveux si noirs… et le sourire fin… une physionomie dont la distinction vient du dedans et se répand sur les lignes peut-être incorrectes et communes d’ailleurs… Tu ris ? Oui, j’accorde que, pour des yeux bêtes, il est assez laid. Mais il a ce je ne sais quoi de rêveur, de souffrant, de mélancolique et de railleur, qui me paraît indispensable, même à la beauté, pour qu’elle ne soit pas ennuyeuse. Est-ce que c’est un grand nom littéraire, Jules Thierray ?

— Connais pas ! dit Nathalie du bout des lèvres. Il y a comme cela deux ou trois mille écrivains célèbres dont, à moins de faire partie de quelque cénacle, personne n’a jamais entendu parler.

— Ce n’est pas une raison pour que celui-là n’ait pas beaucoup de talent.

— Mon Dieu ! dit Nathalie, cela peut devenir, comme tout autre, un écrivain de premier ordre ! Il ne s’agit que d’être prôné dans un certain monde et de trouver ce qui flatte le goût du moment ! Mais qu’importe son rang dans la hiérarchie des beaux esprits, s’il te plaît par lui-même ? et il te plaît un peu ?