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— Oh ! si fait ! c’est le calme du mépris, la patience de la force. D’un mot, tu me briserais !

— Qui sait ?

— Et tu as pitié de ma faiblesse !

— Peut-être bien.

— Ta fais à tort la généreuse, ma grande Nathalie ; tu n’es qu’une avare, au contraire ; tu amasses les trésors de la vengeance, et, d’un mot placé à propos de temps en temps, tu foudroies mon arsenal de taquineries. Mais je suis meilleure que toi et reconnais que j’ai tort. Nous ferions mieux de nous supporter mutuellement, à présent surtout que nous voilà condamnées à vivre de longues heures vis-à-vis l’une de l’autre.

— Moi, je ne m’en plains pas ; j’aime encore mieux ta société bizarre et ta causerie incohérente que les fourberies caressantes d’Olympe, les trahisons niaisement bien intentionnées de la Benjamine, les remontrances pédagogiques de M. Amédée, et surtout que les indignations mal contenues de notre pauvre père.

— C’est-à-dire que tu détestes tant tout le monde, que tu aimes mieux te reposer dans le dédain que t’inspire ta frivolité ? Tu devrais au moins excepter mon père…

— Ah ! tu poses la fille tendre et soumise, ce soir ! Oui, oui, tu l’as fait, je l’ai vu, Éveline, tu es lâche !

— Lâche de cœur, c’est possible. Ayant pour ma part le courage physique, je m’en contente, et ne rougis pas de céder à la fantaisie d’un père si indulgent pour moi et si parfait d’ailleurs.

— Fort bien, tu continueras à lui marquer la plus entière déférence, à la condition qu’il te laissera faire toutes tes volontés, même les plus absurdes, courir avec tout le monde, par tous les temps, par tous les chemins, exposer ta réputation…