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faisait réellement d’assez bons vers, parfois très-beaux quant à la forme ; mais où en eût-elle trouvé le fond ? Son cœur était froid et fermé ; son imagination, jamais émue par le sentiment, n’était qu’un miroir d’acier qui reflétait les objets extérieurs avec netteté. C’était un talent d’observation, aidé d’une expression juste, parfois heureuse. Elle aimait le métier et se jouait avec les difficultés de la rime et du rhythme, comme un ciseleur ferme et minutieux avec une matière rebelle. Elle faisait assez bon marché de la mode, car elle ne manquait pas de goût ; mais, aimant à lutter, elle se plaisait à imiter tous les genres modernes, pour surenchérir sur les défauts de l’école romantique. Elle prenait cela pour la difficulté vaincue, et y trouvait une grande jouissance d’amour-propre. Elle s’assimilait ainsi les qualités de cette école, mais ces qualités n’étaient pas siennes et perdaient toute originalité en passant par un cerveau aussi froid que son cœur.

Elle n’avait réellement de personnalité un peu frappante que dans la satire ou l’imprécation. Athée par nature, si elle ne niait pas positivement la Divinité, elle la prenait à partie et discutait ses lois avec une rare audace. Lorsqu’elle avait de l’aigreur contre les personnes ou les choses, elle exhalait et calmait en secret son ressentiment et sa souffrance par d’assez véhémentes déclamations remarquablement bien tournées. C’était là tout son talent, talent assez éminent chez une femme, mais pas assez ardent pour être mâle, pas assez tendre pour être féminin.

Éveline et Nathalie étaient trop bien élevées, trop peu provinciales, et avaient affaire à des parents trop sensés pour débiter leur poudre d’or aux yeux des profanes. Elles eussent volontiers initié la famille à leurs petites gloires,