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main impatiente, les tapis de Turquie fréquemment arrosés par le contenu des encriers, tous ces objets incessamment renouvelés d’un luxe dont Éveline avait un si grand besoin et usait avec un si grand mépris étaient maculés, tachés, flétris, et, au bout de quelques jours d’apparat, avaient perdu la fraîcheur et, qu’on nous passe le mot, la décence de leur aspect.

C’était bien tout l’opposé du chaste sanctuaire où, tandis que ses sœurs babillaient une partie de la nuit, Caroline s’enfermait pour dire ses naïves patenôtres, faire le relevé de ses petites dépenses personnelles, qui, presque toutes, consistaient en aumônes, raccommoder secrètement quelques nippes (car son plaisir était de se soustraire à l’indolence de la richesse), enfin repasser ses leçons et étudier avec conscience les choses d’instruction élémentaire que ses sœurs avaient trop vite dédaignées pour apprendre des choses frivoles aux yeux de Caroline.

Nous appelons frivoles, nous, les choses qu’on effleure sans les approfondir. Nous pensons que ce qu’on appelle les arts d’agrément, dans les familles aisées, est très-inutilement barbare, et qu’on ferait beaucoup mieux, à l’état où les cultivent la plupart des jeunes personnes, de les appeler art de désagrément pour l’entourage condamné à en subir les résultats, la vue de certains portraits de famille, l’audition de certaines romances, de certains concertos, voire de certains vers.

Éveline et Nathalie n’en étaient pas précisément là. Elles avaient un certain talent, l’une pour la musique, l’autre pour la poésie. Éveline avait beaucoup de dextérité dans les doigts et de fantaisie dans la cervelle, quand elle interrogeait follement, à d’assez rares intervalles, son piano presque toujours malade par suite d’un abandon prolongé ou d’une trop bouillante épreuve. Nathalie