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sa fille aînée, tandis que la Benjamine, contrariée des distractions qu’on lui donnait, le tourmentait pour le faire manger machinalement.

— Voici mon thème ; que mon père le juge, reprit Nathalie, et qu’il le condamne s’il est mauvais : ma belle-mère…

Mais elle fut interrompue par madame Dutertre, qui s’était appuyée sur le dos de sa chaise, et qui se pencha pour lui dire, en lui donnant un baiser sur le front :

— Chère Nathalie, appelez-moi plutôt Olympe, si vous voulez me retirer le doux nom de mère, que de m’en donner un si solennel et si froid.

— Cependant, ma chère madame…, dit Nathalie.

Olympe, douloureusement blessée de cette nouvelle marque d’antipathie, porta involontairement la main sur son cœur. M. Dutertre eut un tressaillement nerveux, et son front, uni et pur comme le siège de la sérénité, se plissa légèrement.

— Qu’est-ce donc, cher papa ? s’écria la Benjamine en lui saisissant le bras. Est-ce que vous vous êtes coupé ?

Et elle lui ôta des mains le fruit qu’il tenait, pour le couper elle-même.

— Non, chère petite, ce n’est rien, dit le père de famille.

Et, résolu de juger par lui-même au plus tôt la situation de son intérieur, il reprit en s’adressant à Nathalie :

— Continue, ma fille ! tu disais… ?

— Je disais, reprit Nathalie avec le même calme qu’auparavant, que traiter de maman une si jeune mère serait parfaitement déplacé à l’âge que nous avons l’une et l’autre. Voulez-vous m’imposer un ridicule ? Ce que je hais le plus au monde, c’est de faire l’innocente de quinze ans, quand j’en ai vingt par le fait et quarante par le